Un dimanche de mai 1954, à Londres, sur un étalage de marché aux puces, Emmanuel Anati repère un curieux morceau d'étoffe, orné de rayures alternées couleur ébène et ivoire. Intrigué, il l'achète pour quelques pences puis le porte à la blanchisserie. Conseillant de la jeter, le teinturier refuse fort heureusement de nettoyer l'étoffe jugée "trop sale !". Celle-ci sera alors remisée dans une boîte par son nouveau propriétaire. Vingt années passent avant qu'il revoie d'autres tapa, ressorte sa relique puis se passionne définitivement pour le sujet. Qualifié de tapa par les tahitiens (terme dont se sert aussi la littérature scientifique), le feutre d'écorce battue est une étoffe malléable non tissée, utilisée pour la confection des vêtements, de couvertures, de voiles de bateaux, voire de parois d'habitations, de décorations, de masques ou d'objets de culte. Dès le début du XIXème siècle, de leurs expéditions dans le Pacifique, les marins ont rapporté en Europe et en Amérique les tapa des mers du sud. Les missionnaires ont aussi fait parvenir en Europe ces fascinants témoignages des cultures indigènes. Les riches motifs décoratifs dont les tapa sont parées permettent d'identifier le lieu et le groupe ethnique qui les a créées. Les thèmes ornementaux renvoient aux esprits ancestraux, à des signes de bon augure ou contre le mauvais oeil, à des mythes ou métaphores de la condition humaine. Source de plaisir esthétique et véritables morceaux d'histoire et de vie, les authentiques tapa (produites à des fins d'usage personnel) constituent d'importants supports d'études anthropologique, généalogique et historique. Précédant l'ouverture du futur musée du quai Branly (qui détient également une riche collection de tapa), la publication inédite de ces étoffes peintes avec leurs signes métaphoriques au graphisme complexe et aux gammes de couleurs élaborées suscitera la curiosité envers ceux qui les ont produites comme envers un mode d'expression du coeur de l'Océanie.